La notion de compétence
Une compétence est bien plus qu’un savoir-faire. Là où le savoir-faire peut être simple ou complexe, répétitif, prévisible et peu flexible, la compétence réfère nécessairement à des capacités complexes où il n’y a pas de recettes toutes faites et où intervient le jugement de la personne dans l’exercice de la compétence, en tenant compte du contexte dans lequel elle s’exerce.
Selon Jacques Tardif (2006, 2017), une compétence est un savoir-agir complexe qui s’appuie sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’un ensemble de ressources internes et externes dans une famille de situations. Autrement dit, dans un ensemble de situations qui partagent des caractéristiques communes, l’exercice de la compétence repose sur une variété de connaissances, de savoir-faire, d’attitudes, de postures… dans lesquels la personne va puiser de façon pertinente pour faire face à la situation. La compétence implique également de savoir faire appel à des ressources externes telles que des documents, des outils, ou des personnes qui pourront jouer un rôle clé complémentaire à celui de la personne qui réalise l’activité où se manifeste la compétence.
Formuler une compétence
Une compétence doit posséder cinq caractéristiques (Tardif, 2006):
- Intégratrice: elle fait appel à une multitude de ressources internes et externes de nature variée.
- Combinatoire: elle s’exerce en prenant appui sur des combinaisons variées de ressources choisies et mises en œuvre en tenant compte du contexte.
- Développementale: son développement n’est jamais achevé car elle se développe tout au long de la vie.
- Contextuelle: elle s’exerce dans des contextes qui orientent l’action et présente donc une souplesse dans sa manifestation en fonction des exigences propres à chaque situation.
- Évolutive: elle peut s’enrichir de nouvelles ressources et de nouvelles situations sans que sa nature ne soit compromise.
Développer une compétence
Une compétence intègre un vaste ensemble d’apprentissages de natures variées. Il est donc essentiel de faire une place importante à l’acquisition de ces savoirs de tous types dans un programme d’études.
Le développement de la compétence elle-même se réalise principalement par des activités d’intégration qui permettent aux personnes étudiantes de s’exercer à faire face à des situations authentiques, réelles ou simulées, et à mettre en œuvre des combinaisons judicieuses de leurs différents apprentissages pour faire face à ces situations. Cette mise en œuvre combinatoire de nombreux apprentissages est en soi un apprentissage essentiel qui doit faire l’objet de rétroaction pédagogique.
Puisque les compétences possèdent un haut niveau de complexité, leur développement doit se faire de façon progressive au sein d’un programme d’études. Une compétence donnée atteindra ainsi des niveaux de développement de plus en plus avancés à mesure que la personne étudiante avance dans son programme. Le développement progressif de la compétence implique qu’il faut prévoir des occasions multiples de s’exercer et de recevoir de la rétroaction.
Ainsi, la première fois où l’on expose les personnes étudiantes à une situation authentique visant le développement d’une compétence, on choisira une situation dont le niveau de complexité est relativement faible, et les attentes du niveau de maîtrise attendu seront conséquentes. Les prochaines activités pourront gagner en complexité, tout comme les attentes de niveau de maîtrise. À chacun des jalons de développement de la compétence, de la rétroaction doit être fournie pour permettre à la personne étudiante de se situer quant à son niveau de maîtrise et d’identifier les améliorations sur lesquelles elle doit travailler. On spécifie souvent trois niveaux de développement en formation initiale : novice, intermédiaire et compétent. Des programmes aux cycles supérieurs peuvent parfois viser des niveaux plus avancés. À chacun de ces niveaux correspondent des apprentissages critiques.
Les compétences n’occupent pas toutes une place équivalente dans un programme. Certaines peuvent se développer du tout premier au tout dernier cours, alors que d’autres feront leur apparition plus tard dans le programme. Il est également possible de compléter le développement d’une compétence au niveau attendu avant la fin du programme. Le rythme de développement de la compétence et les efforts qui y sont consacrés doivent refléter son importance au sein du programme.
On parle de trajectoire de développement d’une compétence lorsque ses jalons de développement sont identifiés et qu’ils ont été échelonnés au sein du programme.
Évaluer une compétence
En raison du caractère intégrateur, combinatoire, développemental, contextuel et évolutif de la compétence, l’évaluation de celle-ci doit se faire autant que possible à l’aide de situations authentiques, réelles ou simulées. En effet, on ne peut pas conclure que la personne étudiante a atteint le niveau de développement attendu pour une compétence en faisant la somme de ses résultats à des épreuves qui évaluent ses connaissances ou ses savoir-faire de façon isolée. Il faut observer la personne dans le plein exercice de la compétence pour pouvoir porter un jugement éclairé permettant de certifier l’atteinte d’un niveau.
Les évaluations par situation authentique exposent les personnes étudiantes à des occasions réalistes de mettre en œuvre la compétence tout en respectant le niveau de développement possible au sein de leur parcours d’études. Pour l’évaluation terminale des compétences, les situations choisies doivent être représentatives de celles qui attendent les personnes étudiantes au terme du programme.
Parce que l’exercice d’une compétence peut prendre différentes formes ayant une valeur équivalente pour une même situation, l’évaluation d’une compétence doit se faire avec doigté. L’évaluation doit tenir compte du fait que les réalisations étudiantes visant la démonstration de leur niveau de maîtrise de la compétence puissent être variées. Prenons l’exemple d’un projet étudiant de conception d’une grille d’analyse d’une situation complexe propre à leur domaine d’études : il serait étonnant que deux productions soient identiques. Et pourtant, plusieurs des productions étudiantes pourraient démontrer un niveau de maîtrise équivalent de la compétence, tout en adoptant des approches très différentes.
Plusieurs stratégies permettent d’évaluer de façon juste le niveau de maîtrise de la compétence tout en tenant compte de la diversité des façons de le démonter. En voici quelques exemples:
- Établir un consensus entre personnes enseignantes sur les composantes ou dimensions de la compétence, sur les apprentissages critiques qui la composent, sur les indicateurs clés à observer, sur les critères d’évaluation et sur les niveaux attendus à différents jalons de développement de la compétence.
- Élaborer des indicateurs et des critères qui sont applicables à une diversité de situations et de types de réalisations étudiantes
- Bâtir des grilles d’évaluation critériées à échelles descriptives qui précisent les attentes au regard de chacun des critères d’évaluation de la compétence.
- Planifier l’observation de plusieurs occasions d’exercice de la compétence afin d’avoir un haut niveau de confiance sur le niveau réel atteint par la personne étudiante.
- Miser sur une combinaison d’observations directes et indirectes de l’exercice de la compétence. Les observations indirectes peuvent être faites à travers l’analyse de productions étudiantes ou la consultation de personnes en mesure de témoigner de leurs propres observations, par exemple.
- Orchestrer une évaluation collégiale de la compétence, où les regards croisés de plusieurs personnes évaluatrices seront considérés pour déterminer le niveau atteint par la personne étudiante.
- Viser une évaluation globale et centrée sur des critères et des seuils qualitatifs pour chaque niveau de développement de la compétence, plutôt que de chercher à calculer un score quantitatif précis.
Tardif, J. (2006). L’évaluation des compétences. Documenter le parcours de développement. Montréal : Chenelière Éducation.
Tardif, J. (2017) « Chapitre 1. Des repères conceptuels à propos de la notion de compétence, de son développement et de son évaluation ». Organiser la formation à partir des compétences Un pari gagnant pour l'apprentissage dans le supérieur, De Boeck Supérieur, pp.15-37. https://doi-org.acces.bibl.ulaval.ca/10.3917/dbu.pouma.2017.01.0015